A l’occasion de la publication de notre dossier sur les lentilles à port diurne pour le contrôle de la myopie, nous avons interrogé 4 des principaux fabricants de ce type de lentilles présents sur le marché français. Comment en sont-ils venus à concevoir ce type de lentilles, quel est leur ressenti du marché, comment voient-ils l’avenir ? Tour d’horizon instructif sur ce sujet de plus en plus d’actualité.

CONTAGUIDE : depuis quand votre société a-t-elle commencé à travailler sur les lentilles pour le contrôle de la myopie ?

- Laure Steve (Responsable Division Lentilles de spécialités -traitement de la myopie chez l’enfant) : CooperVision s’est intéressé à ce type de lentilles dès 2004, en particulier du fait des travaux de John R. Phillips en Nouvelle Zélande qui a montré les effets bénéfiques du port de lentilles dual-focus sur la croissance de la longueur axiale chez l’enfant. Des études préliminaires sur la lentille MiSight montrant l’effet freinateur sur la myopie ont été publiées en 2012, année de l’obtention du marquage CE. Toujours en 2012 CooperVision a décidé de réaliser, en collaboration avec la FDA, une étude clinique d’envergure sur 4 sites en Grande-Bretagne, au Canada, au Portugal et à Singapour. C’était une étude prospective, randomisée, en double insu, avec comme lentille de référence la Proclear 1 day sphérique. Les enfants qui y ont participé étaient jeunes (entre 8 et 12 ans) ce qui a permis un suivi prolongé, jusqu’à l’adolescence. Ce sont les résultats à 3 ans de cette étude qui ont permis à la lentille MiSight® 1 day d’obtenir l’agrément de la FDA sur le contrôle de la myopie chez l’enfant en 2019.

- Rafael Barcala (Responsable commercial Pays Francophones Tiedra) : créé en 2003, TIEDRA est un laboratoire pharmaceutique espagnol spécialisé dans le domaine des soins oculaires.

Encore peu connu sur le marché français, TIEDRA possède une unité de production de lentilles de contact souples et rigides et commercialise toute une gamme de produits pharmaceutiques pour le traitement de l´œil sec et de la blépharite.

Les activités de recherche et développement concernant le contrôle de l´évolution de la myopie ont démarré en 2009. En 2010, la conception/design d'ESENCIA a été achevée, un brevet a été déposé, et les tests de fabrication ont été effectués entre 2011 et 2012 où des études observationnelles ont été réalisées. Celles-ci ont culminé en 2014 avec le lancement de l'étude SMILE, une étude clinique randomisée en double aveugle pour évaluer l'efficacité et la sécurité d'ESENCIA® versus des lentilles de contact témoins. Sur la base des résultats obtenus, ESENCIA® a obtenu en juin 2019 la certification CE concernant l'indication ``Correction et Contrôle de la progression de la myopie chez les porteurs pédiatriques et adolescents´´. Après l'obtention de ladite Certification, le département de R&D s'est penché sur la possibilité de pouvoir proposer une solution aux porteurs astigmates. En juin 2021 la Certification CE en Contrôle de la Progression de la Myopie chez les porteurs pédiatriques et adolescents astigmates a été délivrée.

- Daphné Socorro, Responsable des Affaires professionnelles, mark’ennovy : Le laboratoire mark’ennovy a commencé ses activités en Espagne en 1997, et en France en 1998. La spécialité du laboratoire ce sont les lentilles de contact souples sur mesure. Il faut savoir qu’en Espagne ce sont les optométristes qui prescrivent les lentilles de contact. Pour ce qui est des lentilles pour le contrôle de la myopie, mark’ennovy a commencé à travailler avec le Brien Holden Institute en 2017. Après réalisation des études, la lentille Mylo a été lancée en 2019. En Espagne nous travaillons avec l’Université de Madrid et celle d’Alicante.

- Marina Correia, Technico-commerciale, CVE ; CVE est le distributeur en France des lentilles du Laboratoire japonais SEED qui est le 2ème fabricant de lentilles de contact au Japon. La lentille Seed 1dayPure Edof est basée également sur les travaux du Brien Holden Institute. Une importante étude clinique est actuellement en cours en Inde : elle devrait être disponible en fin d’année.

 

CONTAGUIDE : quel est le principe optique qui a été choisi pour vos lentilles respectives ?

 - Laure Steve : le principe optique est appelé ActivControl® technology : c’est celui du défocus myopique en périphérie rétinienne, principe aujourd’hui largement reconnu. La MiSight® 1 day comporte 4 zones concentriques : 2 d’entre-elles, dont la zone centrale, sont des zones de correction de la myopie, et il y a deux zones de traitement avec une addition de +2,00 D qui créent un défocus myopique en périphérie de la rétine.

- Carolina Paredes Urruti, Responsable Technique et R&D, Tiedra : l’optique de la lentille Esencia est centrée pour la vision de loin et comporte une zone de défocus asphérique progressive de puissance +3,00D en périphérie. La face postérieure de la lentille est asphérique. C’est une lentille trimestrielle dont il existe une version torique depuis juin 2021.

- Daphné Socorro : le principe optique de la lentille Mylo est celui de la profondeur de focalisation étendue (EDOF). L’objectif ici aussi c’est la défocalisation myopique en périphérie de la rétine. On l’obtient avec des anneaux concentriques avec de multiples puissances. Ces puissances sont différentes d’un anneau à l’autre, on parle de répartition non monotone. La distribution des anneaux est également variable : on parle de distribution apériodique. La vision de loin, elle, est centrale. La lentille est en silico-hydrogel, à renouvellement mensuel. Elle a des paramètres étendus et elle est fabriquée par tournage.

 

- Marina Correia : le principe optique de la lentille Seed est le même : c’est celui de la profondeur de champ étendue (EDOF) développé par le Brien Hoden Institute. La différence ici c’est que la lentille 1dayPure Edof est une lentille journalière et qu’elle est obtenue par moulage et non par usinage.


CONTAGUIDE : quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le marché français et quelles opportunités voyez-vous pour la freination de la myopie par lentilles de contact ?

Laure Steve : les débuts ont été difficiles car parler de lentille « anti-myopie » était plutôt disruptif, de surcroit chez l’enfant, sujet particulièrement sensible. L’accueil a été favorable de la part des ophtalmologistes qui pratiquaient déjà l’ortho-K chez l’enfant car c’était pour eux une solution nouvelle et complémentaire. Fin 2020 sont sorties les recommandations officielles de la SFO et la SFOALC avec un consensus sur la prise en charge de la myopie évolutive (fiche SFO 67). Cela a aidé grandement les ophtalmologistes à proposer des solutions pour prévenir et contrôler la myopie.  La part de marché des lentilles de contact en France est faible comparée aux autres pays européens : seuls 5, 5% des français portent des lentilles de contact. C’est donc un frein à son adoption chez l’enfant. Toutefois le lancement des verres freinateurs de la myopie va faire bouger les choses : les fabricants de verres ont de puissants moyens pour sensibiliser le public et la presse à l’épidémie de myopie, et donc sensibiliser les parents. Cela va augmenter la demande dans les cabinets d’ophtalmologie et les magasins d’optique. Il faudra veiller toutefois au sérieux des études cliniques présentées pour démontrer l’effet freinateur sur la myopie : le marketing ne doit pas prendre le pas sur le scientifique. Face aux verres les lentilles ont des arguments : elles sont portées plus longtemps et leur correction est stable puisque la lentille est posée sur la cornée, et 90% des enfants équipés préfèrent les lentilles à leurs lunettes, pour la pratique du sport et pour la confiance en soi. Restera à faciliter la prescription grâce à la coopération des trois « O » : ophtalmologistes, orthoptistes et opticiens.

Rafael Barcala : il est vrai qu’au début, en 2010-2012, personne ne prenait véritablement au sérieux la pandémie de myopie. Il a donc fallu faire en Espagne un travail d’éducation des optométristes, ce qui a pris du temps, mais aujourd’hui ce travail est fait. Comme le Laboratoire Tiedra dispose aussi de lentilles d’ortho-K, l’introduction d’une lentille souple pour cette indication a été facilitée. Nous pensons que c’est cette solution qui représente l’avenir pour la prévention de la myopie, plus que l’atropine qui a des effets secondaires. Il y aura aussi un effet de synergie puisque de plus en plus de laboratoires de contactologie parlent de prévention de la myopie.

- Daphné Socorro : il faut savoir qu’en Espagne, la prévention de la myopie par lentilles de contact fait partie du programme de formation des optométristes, et, depuis environ 2015, la prévention de la myopie est facilement proposée aux parents et aux enfants en magasin. Alors qu’en France cela ne fait que commencer.

- Marina Correia : nous n’avons pas encore beaucoup communiqué sur notre lentille, mais les difficultés que nous rencontrons sont connues : l’adaptation des lentilles demandent du temps alors que les cabinets d’ophtalmologie sont très occupés avec des délais de rendez-vous trop longs.

- Laure Steve : on observe un fort développement en Europe de la prévention de la myopie par lentilles de contact, ce qui est très positif. Point positif aussi c’est l’adhésion des enfants à la correction par lentilles : dans nos études 99% disent que cela a changé leur vie. En ortho-K les taux de satisfaction sont aussi très élevés. De plus, un autre public va bientôt s’y intéresser : c’est celui des jeunes adultes chez qui on voit aussi des myopies évolutives.

 

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