Dossier lunettes pour contrôler l’évolution de la myopie
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Dossier lunettes pour contrôler l’évolution de la myopie

Après des années de tentatives infructueuses, certains verres spéciaux auraient des résultats prometteurs

Première version de ce dossier : Février 2021

Dernière mise à jour : Mars 2022

Auteur : Dr Joël Pynson

©CONTAGUIDE 2021-2023

 

Avec 2,5 milliards de personnes myopes en 2020, on comprend que l’industrie du verre optique ait un avenir radieux. Mais la notion relativement nouvelle de prévention de la myopie chez l’enfant s’impose aujourd’hui grâce à l’orthokératologie et aux lentilles de contact multifocales diurnes. Pas grâce aux lunettes. De quoi sans doute intéresser les verriers qui disposent, de plus, de moyens bien plus importants que ceux des fabricants de lentilles, aussi bien pour le développement de nouvelles solutions optiques que pour les tester et…le faire savoir.

Les premières tentatives de prévention de la myopie par des lunettes datent déjà d’une vingtaine d’années. La première hypothèse mise en avant fut celle du décalage accommodatif en vision de près chez l’enfant myope : on a alors proposé des verres comportant une addition entre +1,00 et +2,00 D, comme chez le jeune presbyte, et plusieurs solutions optiques ont été testées : verres bifocaux, verres bifocaux + prisme, et verres progressifs avec différents couloirs de progression.

Les résultats ont été mitigés, aussi bien pour les verres bifocaux[1], que pour les verres bifocaux avec prismes[2], ou que pour les verres progressifs. L’asphérisation de l’addition progressive, proposée par Zeiss, ne s’est pas non plus révélée pertinente.[3] En cas d’ésophorie et de décalage accommodatif important, les verres progressifs pourraient toutefois avoir un intérêt[4].

La deuxième hypothèse est celle désormais largement répandue du défocus myopique en périphérie de la rétine qui ralentirait l’évolution de la myopie, hypothèse confortée par les travaux de Smith et Holden au début des années 2000[5]. De très nombreuses études ont été réalisées avec des lentilles de contact suivant ce principe, avec de bons résultats, ce qui a conduit à la commercialisation de plusieurs lentilles de contact pour le contrôle de la myopie chez l’enfant, en particulier la lentille MiSight de CooperVision qui a obtenu l’agrément de la FDA dans cette indication.

Cette hypothèse a aussi conduit au développement de nouveaux verres de lunettes.

Quelles sont les options retenues par les verriers et quelles études ont été faites pour les valider ? Nous allons tenter de l’aborder par fabricant de verres, ce qui permettra également de suivre l’historique des solutions proposées. Mais une remarque s’impose d’emblée : dans le domaine des lunettes, la communication et le marketing sont fortement liés, et on ne s’embarrasse pas toujours de la rigueur nécessaire à la recherche clinique. L’exemple le plus démonstratif est l’annonce des résultats en pourcentage. Prenons (pour hypothèse) une population de deux groupes de jeunes myopes, le premier traité, l’autre pas. Si le groupe non traité passe par exemple, en deux ans, d’une myopie moyenne de -2,00D à -3,00 D et que le groupe traité passe, en moyenne, de -2,00 à -2,25 D, on peut dire que l’écart est de -0,75 D et rechercher si cet écart est significatif. Mais on ne peut certainement pas dire que la réduction de la myopie a été de 75%... Rappelons enfin que la mesure indispensable pour évaluer l’évolution de la myopie, est celle de la variation de la longueur axiale de l’œil, bien plus précise que la réfraction, même sous cycloplégique.

Ainsi, une des données les plus pertinentes est la réduction moyenne de longueur axiale (en mm) de la population traitée par rapport à la population de référence. Elles est égale à (modification moyenne de la longueur axiale de la population de référence) - (modification moyenne de la longueur axiale de la population traitée). C'est cette donnée qui est utilisée pour le graphique en introduction de cet article.

Zeiss-Sola

Zeiss s’est intéressée très tôt aux verres pour prévenir la myopie, de même que Sola. Comme, depuis 2006, les deux entreprises ne font désormais plus qu’une, leurs solutions seront décrites dans le même chapitre.

Déjà en 2001 Sola commercialisait son verre Sola MC Myopia Control, basé sur les travaux de Leung et Brown de l’Université Polytechnique de Hong-Kong[6]. Jackson Leung est d’ailleurs le créateur de la société VST (Vision Science and Technology) qui a récemment développé une lentille de contact pour le contrôle de la myopie appelée DISC lens[7].

Le verre Sola MC est un multifocal avec une addition de +1,50 et un corridor étroit. Curieusement, dans l’étude de Leung et Brown, c’est une addition de +2,00 qui avait donné de bons résultats. D’ailleurs, d’autres études sur le Sola MC ont montré peu[8] ou pas[9] d’effet.

Zeiss a retravaillé le corridor de verres multifocaux pour l’adapter à la vision de l’enfant. Cela a abouti aux verres Myokids, mais, à ce jour, Zeiss ne fournit pas sur son site de résultat sur l’effet de ces verres sur l’évolution de la myopie.

Zeiss a également exploré l’hypothèse du défocus périphérique. Trois différents designs, symétriques et asymétriques, testés pendant un an chez 210 enfants chinois, ont donné des résultats mitigés[10]. Seul l’un des designs a montré une certaine efficacité, mais uniquement chez les enfants les plus jeunes et lorsque, au moins, un des parents était lui-même myope. Cela a néanmoins conduit à la commercialisation des verres MyoVision et MyoVision Pro. Une étude récente sur 203 enfants suivis pendant 2 ans au Japon conclue toutefois à l’absence d’effet des verres Myovision[11].

En février 2022, Zeiss a annoncé le lancement d'un nouveau verre dédié à la myopie évolutive chez l'enfant : Myovision ACE. Le principe serait celui du défocus périphérique qui "envoie un signal lumineux visant à freiner l'évolution de la myopie" (sic).

Ce verre aurait été développé en "exploitant les données issues des divisions médicales du groupe Zeiss". A ce jour les dites divisions médicales n'ont pas partagé leurs données.

Essilor

L'ex champion national, désormais italien semble-t-il, s’intéresse aussi à la prévention de la myopie depuis de longues années. Déjà, en 2005, des verres Essilor Junior ont été commercialisés en Asie dans cet objectif, suivis en 2009 par les verres Essilor Junior NG[12].

Des études réalisées par Essilor en Chine[13] et à Singapour[14] se sont intéressées à la posture des enfants lors des travaux en vision de près, et à la position de leur tête et de leur regard. Elles ont montré que les enfants ont tendance à se rapprocher davantage que les adultes en vision de près et donc à converger davantage. En se basant sur l’hypothèse du décalage accommodatif, cela a conduit au développement de 3 designs de verre multifocaux[15] « Myopilux » destinés spécifiquement aux enfants myopes et adaptés aux particularités de leur vision binoculaire :

- s’il y a une tendance à l’excès de convergence (ésophorie) une addition de +2,00 D sera bien supportée : c’est le verre Myopilux Lite, qui existe en version sur-mesure sous le nom Myopilux Plus.

- s’il y a une tendance à un défaut de convergence (exophorie), un prisme de +3,00 ∆ est ajouté à la base du verre : c’est le Myopilux Max.


Les données cliniques sont toutefois assez limitées. Une étude a été conduite en Australie et en Chine[16],[17] mais sur seulement 135 enfants dont l’évolution myopique avait été au moins de 0,50 D l’année précédente, et avec 3 options de traitement : verres traditionnels, verres avec addition de +1,50 D et verres avec addition de +1,50 D et prisme de +3,00 ∆, ce qui fait que chaque groupe comportait moins de 50 individus. Les résultats à 3 ans ont montré une réduction significative de l’augmentation de la longueur axiale dans les groupes traités, et un effet plus important des verres avec prismes en cas de faible décalage accommodatif, mais les verres testés avaient une addition de +1,50 D, alors que les verres commercialisés ont une addition de +2,00 D. C’est pourtant cette étude qui est citée par Essilor pour affirmer que : « le port des verres Myopilux Max chez les enfants myopes, permettait de freiner jusqu'à 62% l'évolution de leur défaut visuel[18] ».

Une deuxième étude[19] (COMET) a porté, elle, sur 469 enfants myopes suivis pendant 3 ans, mais avec seulement deux options : verres simples ou verres avec addition de +2,00 D. Les résultats ont montré une différence significative en faveur des verres avec addition, mais seulement la première année, avec maintien de l’effet les deux années suivantes. D’autre part l’effet était plus important chez les enfants avec ésophorie et fort décalage accommodatif.

Enfin, une troisième étude[20] (COMET 2) portant sur 118 enfants avec un groupe avec ésophorie et fort décalage accommodatif a montré un effet statistiquement significatif mais, d’après les auteurs, non cliniquement significatif, des verres avec addition de +2,00 D.

Essilor a également travaillé sur l’hypothèse du défocus en périphérie de la rétine. Cela a abouti au développement du verre Stellest qui comprend une multitude de micro-lentilles réparties sur 11 cercles concentriques, laissant une zone centrale libre.

Une seule étude clinique, réalisée en Chine, est disponible pour le moment (30) Elle porte sur 170 écoliers âgés de 8 à 13 ans avec des myopies allant de -0,75 à -4,75 D, suivis pendant un an. 3 types de verres étaient attribués de façon aléatoire : des verres classiques, des verres avec micro-lentilles hautement asphériques (HAL) et des verres avec micro-lentilles légèrement asphériques (SAL). Il faut noter ici que les calculs optiques pour la puissance des micro-lentilles étaient basées sur un modèle d’œil adapté aux yeux asiatiques et que les valeurs d'asphéricité n'ont pas été dévoilées. En moyenne, les verres étaient portés environ 13 heures par jour, avec peu de différence entre les groupes. Tous les verres ont été bien tolérés.

Les résultats après un an ont montré une réduction moyenne de longueur axiale de 0,11 mm pour les verres SAL et 0,23 mm pour les verres HAL. Les verres avec micro-lentilles hautement asphériques ont donc un effet plus important, effet toutefois inférieur dans cette étude à celui observé dans les études cliniques de la lentille de contact de référence. A noter toutefois que 26% des porteurs de verres HAL ont eu une réduction de longueur axiale, phénomène particulièrement intéressant, mais les auteurs ne donnent pas de données chiffrées à ce sujet.

A noter enfin qu'Essilor parle un peu abusivement de ralentissement de 67% de l'évolution de la myopie (31) mais en se basant sur seulement 32 enfants d'une étude à 2 ans non publiée.

Hoya

Hoya a mis au point un verre assez sophistiqué, appelé MiYOSMART, basé sur l’hypothèse du défocus périphérique, en collaboration avec l’Université Polytechnique de Hong Kong. Le verre utilise la technologie D.I.M.S. (Defocus Incorporated Multiple Segments) : il comporte une zone centrale de 9,40 mm de diamètre qui assure la correction myopique, et une zone périphérique de 33,00 mm de diamètre composée de 400 microlentilles de 1,05 mm de diamètre ayant une puissance de +3,50 D, qui assure la défocalisation myopique. Les premiers brevets US sur ce type de verre datent de 2015[22].

Une étude clinique évaluant ces verres et portant sur 160 enfants en Chine avec un suivi de 2 ans vient d’être publiée[23]. Elle montre un effet remarquable avec une différence de longueur axiale de 0,34 mm en moyenne par rapport à la population témoin après 2 ans. Si ces résultats se confirment, ces verres se rapprocheraient de l’effet observé sur une période toutefois plus longue et sur plus d’enfants, des lentilles de contact MiSight (0,32 en moyenne mais avec un recul de 3 ans[24]). Rappelons à ce sujet que la FDA exige des études avec un recul de 3 ans pour pouvoir considérer que des verres ont un effet freinateur sur la myopie.

En France le verre Miyosmart est commercialisé comme un verre simple, monofocal avec une distance verre-œil recommandée inférieure ou égale à 10 mm et une cambrure inférieure ou égale à 5°. La position de Hoya est toutefois ambigüe puisque le verre est accompagné d’un carnet de suivi avec des visites de contrôle chez l’opticien et l’ophtalmologiste, suggérant donc  un effet thérapeutique. De même l’efficacité clinique est présentée comme supérieure aux autres solutions (atropine, lentilles de contact, ortho-K), ce qui est pour le moins discutable puisqu'aucune étude comparative n'a été publiée.

Deux études cliniques sont en cours en Europe : les résultats viendront compléter cet article, dès qu’ils seront disponibles.

Les verres à l’étude

Deux autres sociétés ont fait savoir qu’elles travaillaient sur des verres pour diminuer l’évolution de la myopie chez l’enfant : le fabricant de verre Shamir, et la société SightGlass Vision.

- Shamir

Une étude clinique[25], en collaboration avec l’Université Polytechnique de Hong Kong, décidément incontournable sur le sujet, a débuté en 2016 pour évaluer un verre asphérique développé par la société israélienne Shamir. Les détails du verre et les résultats de l’étude n’ont pas encore été publiés.

- SightGlass Vision

SightGlass Vision est une société californienne créée par Thomas Chalberg et Maureen et Jay Neitz pour développer des systèmes optiques destinés à freiner la myopie, basés sur une nouvelle hypothèse : c’est lorsque le contraste rétinien est élevé que le risque myopique augmente, comme on le voit dans certaines myopies congénitales. Pour s’y opposer on peut donc concevoir des verres qui diminuent le contraste rétinien, par exemple avec des zones de diffusion de la lumière réparties sur le verre.

La société a breveté un grand nombre de designs de verre avec des zones de diffusion variables. Une première étude a permis de tester 3 de ces designs, dont un qui a semblé prometteur[26]. Une étude multicentrique portant sur 256 enfants a ensuite été lancée aux Etats-Unis et au Canada[27]. Les résultats à un an ont été partiellement publiés mais ils ne permettent pas encore de juger de l’efficacité de ces verres[28].

SightGlass Vision, qui a annoncé l’obtention du marquage CE, a été absorbée en début d'année 2021 par une joint-venture entre Essilor-Luxottica et CooperCompanies. Les lunettes SightGlass devraient donc être produites par Essilor-Luxottica, et Cooper élargit ainsi son offre pour la prévention de la myopie chez l’enfant.

En octobre 2021 CooperVision a annoncé les résultats à deux ans de l'étude réalisée aux USA et au Canada. Ils montrent une réduction de la progression myopique, en moyenne de 47% pour la réfraction et de 24% pour la longueur axiale, mais l'étude n'est pas encore publiée.

Conclusion

Les fabricants de verres ont bien compris l’intérêt que pouvait avoir une solution optique permettant d’équiper les millions de jeunes enfants myopes pour freiner l’évolution de leur myopie.

Depuis plus d’une vingtaine d’années de multiples verres ont été testés, bifocaux, asphériques, multifocaux, avec ou sans prisme, avec des résultats mitigés, surtout si on les compare avec les techniques de référence que sont l’orthokératologie et l’atropine, voire aujourd’hui avec les lentilles de contact souples multifocales.

Beaucoup de ces études cliniques sont par ailleurs réalisées en Asie et il semble bien que le risque myopique soit différent chez l’enfant asiatique et l’enfant européen[29].

Soulignons de plus l’importance majeure du bilan orthoptique préalable à la prescription de ces verres. Avec ces verres spéciaux la vergence peut dépendre de la direction du regard et donc influer sur l’équilibre oculo-moteur.

Enfin, le discours marketing de certains verriers, et une présentation incomplète voire trompeuse des résultats, incitent à la plus grande prudence, sans parler du risque de discrédit auprès des professionnels de santé.

De nouvelles solutions optiques sont toutefois prometteuses. Souhaitons qu’elles soient testées avec une grande rigueur et que les résultats soient partagés en toute transparence avec la communauté scientifique et médicale.

 



[5] Voir par exemple le brevet US 2005/0105047

[12] https://www.pointsdevue.com/article/lenses-slow-progression-myopia

[13] Drobe B, Seow EJ, Bao J, Wang Y, Lu F, Near vision posture in myopic Chinese children. ARVO Poster, 2011.

[14] Seow EJ, Drobe B, Tang FL, Influence of Language and Task on Working Distance in Singaporean Chinese Bilinguals. ARVO Poster, 2007.

[22] Brevet US 10,268,050 B2 déposé le 6 novembre 2015

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